De la rencontre
Tout commence par un cercle où chacun trouve sa place. Tous laissent filtrer leurs voix comme de derrière un nuage de brume, puis c’est l’instant magique où nous nous voyons pour la première fois au sein de l’École. Les conversations infinies sur la présence scénique, l’amour, la haine de soi parfois, l’incompréhension, la timidité et le désespoir sont lancées par le chorégraphe, cet étranger qui devient vite un nouveau membre de notre grande famille bariolée. À chaque début de session, on se presse vers le babillard où s’affiche pour la première fois un nom nouveau, celui de l’artiste que nous rencontrons peu après. Il y a toujours dans l’air cette électricité de l’inédit et cette angoisse aussi, plus ténue, à l’idée que la rencontre soit décevante. Et puis le chorégraphe fait son entrée comme au ralenti, avec une humilité renversante et ce pas souple des danseurs, de ceux qui ont su dompter leur corps et puiser suffisamment loin pour révéler des trésors. La création en amante tyrannique exige que l’on s’abandonne totalement, dit Marc Boivin. L’extrême lenteur force à trouver des chemins nouveaux, dit Lucie Grégoire. La danse est le poème viscéral du guerrier à genoux qui toujours se relève, ajoute José Navas. Il n’existe aucun mot pour écrire comme il est émouvant de voir ces hommes et ces femmes chercher en temps réel le chemin vers « la » pièce, presque nus face à nous, les élèves, comme les écrivains s’escriment à trouver le mot juste, comme les peintres combattent corps à corps avec leur toile. Chaque présentation face à l’énergie enivrante du public est le résultat d’un processus aux nombreuses facettes. Souvent, aussi, de bien des larmes devant la beauté de la Danse et la chance que nous avons de pouvoir nous y adonner, plusieurs heures tous les jours. Chaque chorégraphe, une fois le dos tourné, laisse en nous une trace de sa personne. Il ne tient qu’à nous de choisir avec soin ce qui nous permettra de grandir en tant qu’interprètes, et de laisser le reste faire son chemin. En tant qu’étudiante de deuxième année, je retiens surtout, au milieu de la concentration et du travail intense, les nombreux fous rires partagés avec ceux qui constituent ma cohorte, autant en classe qu’à l’extérieur des heures de cours. D’un naturel plutôt timide, j’ai rarement connu le privilège de faire partie d’un « groupe ». J’ai toujours affirmé préférer la fidélité d’une amie unique à l’affection superficielle des multitudes. Ce n’est que depuis mon arrivée à l’EDCM que je vois ma coquille se fracturer à cœur joie, pour laisser filtrer de nouveaux visages que j’aime déjà profondément. L’aventure proposée par chaque nouvel artiste serait impensable sans leur humanité, leur passion et leur soutien. Il n’y aurait aucune Rémanence sans l’enthousiasme contagieux d’Aliénor, les encouragements affectueux de Jérôme, la douce folie d’André ou l’éclat des cheveux blonds de Nolwenn. De même, leurs voix, leur chahut sont un baume au cœur des jours de pluie, et de ceux où rien ne va plus. Même masqués, même à distance, il reste encore la sensation presque physique du lien qui nous rapproche, né de la danse et de nos vulnérabilités partagées, que rien ne saurait briser, du moins pour l’année à venir. C’est aussi cela, l’éphémère passion des arts du spectacle. – Mara Dupas, étudiante de deuxième année /// Dans la rubrique Vie étudiante, les étudiant.es en danse contemporaine à l’EDCM prennent la plume : l’occasion de découvrir différents points de vue et sujets en lien avec la formation professionnelle, le quotidien des jeunes artistes et la vie à Montréal. /// Photo : EDCM |