La danse en ligne : un défi plus que surmontable
Comme plusieurs autres institutions cette année, l’École de danse contemporaine de Montréal a dû faire preuve d’une grande résilience. En adaptant sa formation académique, elle a prouvé que l’art de la danse et l’enseignement à distance peuvent bien s’associer. J’ai été témoin de cette rencontre inattendue en tant que « producteur », une présence en support-conseil afin de faciliter la transition vers ce nouveau mode de fonctionnement. Mon rôle a été d’assister à chacun des cours et de gérer la nouvelle plateforme éducative. En m’occupant des manipulations techniques et des problèmes technologiques, chacun.e a pu se consacrer à sa tâche; les enseignant.e.s ont pu enseigner et les étudiant.e.s apprendre. Afin de préparer la rentrée scolaire virtuelle, l’équipe de direction de l’EDCM a choisi de faire appel à une firme-conseil spécialisée dans les stratégies de gestion humaines. Ayant déjà travaillée avec d’autres écoles supérieures d’art, leur équipe nous a partagé de nombreuses bonnes pratiques, tout en mettant en lumière plusieurs angles morts, qui se seraient uniquement dévoilés avec le temps. L’apport de leurs connaissances théoriques et pratiques sur la didactique virtuelle a été majeur. Le moment charnière pour moi a été lorsque j’ai compris qu’il ne fallait pas s’acharner à offrir la formation la plus identique possible à ce qui se fait en studio et en classe et, qu’au contraire, il est bien plus efficace de miser sur les qualités propres à ce nouveau médium. Ainsi, on bénéficie des bons côtés de la technologie, sans dilapider son énergie sur le manque à gagner. Une des raisons majeures du succès de la formation en ligne a été l’établissement d’un climat d’entraide et de confiance entre tous.tes et envers les outils. Afin que chaque personne se sente supportée et autonome, j’ai proposé de prendre un temps pour discuter et faire un tour d’horizon des outils, lorsqu’une nouvelle personne ou un nouveau groupe débutait une formation. Cela a permis d’évaluer le niveau d’aisance et d’attirance envers les technologies et d’offrir une formation de base. En accusant cette position dès le départ, il est plus facile d’évaluer les besoins de chacun.e. Par exemple, avec chaque enseignant.e, j’ai pris le temps de demander comment ielles se sentaient par rapport à l’enseignement en ligne, afin d’offrir par la suite une aide adaptée. Ainsi, chacun.e pouvait cultiver une autonomie dans son enseignement, tout en ayant un soutien en cas de pépin. Les discussions ont aussi révélé des enjeux particuliers dans les cours d’histoire, de musique et d’anatomie. Par exemple, il a fallu trouver des stratégies pour offrir une meilleure qualité d’image et de son, malgré la qualité variable de la connexion internet de chacun.e. La fluidité était essentielle lors du partage de pièces musicales et de vidéos d’anatomie. En fait, même avant que les enseignant.es adaptent le contenu de leur cours, l’École a réévalué la durée des classes, l’organisation des journées et le type de contenu à privilégier. Elle souhaitait favoriser l’apprentissage et limiter la fatigue mentale. Étant donné que l’enseignement se fait à l’écran et qu’il est plus difficile d’y sentir l’énergie d’un groupe, l’équipe de la firme-conseil suggérait de construire des séances plus simples. Cela peut se faire en sélectionnant l’essentiel de la matière théorique à partager de manière magistrale et en proposant des activités d’apprentissages plus actives. Une des bonnes stratégies est de prévoir un fil de pensée clair et succinct pour que le déroulement du cours soit fluide. À l’intérieur de cette trame, il est bien d’insérer des moments d’échange, de pause et d’activité pour ponctuer. Cela permet de se revitaliser et de se rassembler en tant que groupe. Une autre bonne piste est d’inviter du mouvement dans le corps et dans la pensée pour stimuler l’implication. Cela peut se faire de plusieurs façons, comme échanger en sous-groupes par rapport à des lectures faites à la maison, regarder individuellement une vidéo en partageant ses commentaires dans la boîte de clavardage ou répondre à des questions qui nécessitent un geste à la caméra. En fait, il faut oser être créatif avec ces nouveaux outils, car cela mène à de belles découvertes. Dans le cadre du cours d’anatomie, l’enseignante Myriam Saad a proposé l’utilisation du dessin et de la pâte à modeler pour recréer des structures osseuses du corps. Les étudiant.e.s prenaient un moment en sous-groupes pour façonner leur création et assimiler les connaissances. Chaque fois, au retour en groupe, des questions émergeaient et l’attention était renouvelée. Dans le cours de recherche créative, Linda Rabin a proposé des improvisations de mouvement qui reliait les étudiant.e.s entre eux. C’est une autre façon de créer des liens vivants. En réalité, maintenir le lien humain à travers la technologie est crucial. Les outils doivent être utilisés pour leur performance et leur efficacité certes, mais l’humain et son rythme doivent rester prioritaires. À un temps où nous sommes un peu plus éloigné.e.s, il est primordial de conserver un espace de dialogue ouvert et impliqué. D’une façon très simple, Valérie Lessard, dans le cadre du cours Danse et société, suggérait souvent que tous.tes ouvrent leur micro pour un bref temps d’échange. Entendre la voix du groupe diminuait le sentiment d’isolement des deux côtés. Le sentiment de fatigue et de vide, qui accompagne les longues périodes devant l’écran, est grandement diminué s’il est ponctuellement adressé et remis en mouvement par l’échange. Prendre le pouls de son groupe permet aussi de mieux saisir le rythme de l’apprentissage, de réduire la pression de combler un vide pour les enseignant.e.s et de moduler le besoin d’attention des étudiant.e.s. Par ailleurs, stimuler la rétroaction à travers la classe est très bénéfique. On peut demander simplement : « Avez-vous besoin d’une pause ? », ou encore « Est-ce que quelqu’un à quelque chose à partager ou une question ? ». Le maintien du lien humain et la communication directe font beaucoup de bien. Cela permet de rendre les cours à la fois fluides et rythmés, tout en contribuant à la bonne concentration. C’est aussi intéressant de demander l’appréciation d’une nouvelle activité. Par ailleurs, l’École a réalisé un sondage auprès de ses étudiant.e.s pour voir ce qui était apprécié, ce qui était un enjeux/un défi et ce qui pouvait être amélioré. Les réponses ont été très utiles pour orienter la suite de la session. Entre autres, on a pu découvrir l’impact des problèmes techniques, la qualité de la concentration à la maison, la nécessité des interactions et la réalité des étudiant.e.s anglophones. Encore une fois, le dialogue a enrichi la pratique. Enfin, les pépins technologiques étant inévitables, il demeure important de cultiver une approche ouverte et bienveillante avec les autres et envers les outils. Il s’agit souvent simplement de se permettre de prendre le temps de verbaliser ce qui se passe ou de poser des questions. En étant chacun.e chez soi devant la caméra, une transparence forcée et nécessaire s’immisce entre nous. Nos rapports en deviennent distants et perméables, car nous sommes tous.tes un peu chez l’autre. Bien que l’année se soit déroulée autrement, elle a révélé une solidarité touchante dans cette nouvelle façon d’apprendre ensemble. – Philippe Dépelteau, producteur de la formation à distance Dans le cadre de la subvention du Ministère de la Culture et des Communications du Québec dédiée au rayonnement numérique, l’EDCM diffuse des témoignages de différents acteurs ayant fait l’expérience de la formation artistique en ligne ou ayant participé à son implantation. En savoir plus Photo : Maxime Côté | Interprètes : Lou Amsellem, Anny Gauthier, Adèle de Boisgrollier, Nikita Peruzzini, Mathieur Hérard, Sophie Fekete |