3 QUESTIONS À ALEXANDRE MORIN
Le chorégraphe Alexandre Morin répond à trois questions alors qu’il est actuellement en résidence de création d’une pièce avec les étudiant.es de troisième année qui sera présentée au spectacle Cru d’automne 2021, à partir du 15 décembre 2021 à Tangente Danse. – AM : La réponse à cette question a beaucoup évolué au cours de la dernière décennie. Je suis en mode rétrospectif en ce moment, ce qui amène vers des zones existentielles. Je vais avoir trente ans à la première de la pièce présentée à Tangente en décembre. Rien que je n’appréhende, j’ai hâte d’atteindre cette nouvelle étape. Cette pièce créée avec les huit artistes de la cohorte de finissant.es est intimement reliée à cette question du pourquoi l’on bouge. Plus jeune, j’ai commencé à danser parce que ma mère m’a inscrit au centre des loisirs proche de la maison, en campagne. Je suis tombé en amour avec le mouvement et la danse! La musique pop faisait partie intégrante de cette expérience, avec une forte influence des vidéos clips de l’époque (Janet, Missy, Britney, you name it). Je pratiquais obsessivement mes ”chorés” dans ma chambre. J’ai vite arrêté les sports d’équipes. Je subissais beaucoup d’intimidation dans ces contextes. Même si le coming out s’est fait plus tard dans ma vie, il était évident pour les autres gars que j’étais différent. Je me suis réfugié dans mes cours de danse grâce à la bienveillance de mes professeures et collègues danseuses. Ici, je bougeais par passion mais aussi par survie et par envie d’exultation. J’ai débuté un long processus d’acceptation identitaire par le corps, la danse et la musique. À 17 ans, j’ai commencé ma formation à l’EDCM. Woah, un monde s’est ouvert à moi! Venant d’un petit village, je n’avais pas été exposé à l’art expérimental et à la danse contemporaine avant d’arriver à Montréal. Avec l’École j’ai trouvé une maison qui m’a accueilli à bras ouverts malgré mes lacunes techniques. Le cœur et le feu y étaient. Ici, j’ai découvert l’immense terrain de jeu que sont l’anatomie, la création, l’improvisation et l’histoire de l’art. J’avais construit une armure à l’adolescence pour me protéger, étant le seul gars en danse et le seul homosexuel. Il y a eu un long processus de lâcher prise afin de trouver comment ma danse pouvait s’affiner, se moduler et se nuancer. J’étais très intense, en quête d’adrénaline, en surperformance, ce qui venait parfois avec un manque d’écoute et une résistance. Maintenant, je comprends mieux pourquoi j’avais besoin de cette intensité : elle m’a amené loin dans une quête de dépassement. À ce stade, je bougeais just to feel alive, to feel the blood pumping in my veins. Being reckless and invincible. Et boom : en début de carrière, une blessure au genou à tout arrêté. Cet événement m’a obligé à me confronter au fait que je devais m’émanciper du rapport malsain à la danse que j’avais inconsciemment construit – un long processus de réflexion et de re-wiring. Je suis allé vers les approches somatiques du mouvement, la méditation et la lenteur. Après le feu du début de la vingtaine, j’ai eu besoin de plonger dans l’eau. Mes dernières créations ont été inspirées d’univers aquatiques : fluidité, sensualité, profondeur de la respiration. Je me suis mis a danser en slow motion avec des objets, un changement radical par rapport à mon parcours. Ici, je bougeais pour accueillir la subtilité, l’imaginaire et la sensorialité; une forme de guérison, un grand besoin de ralentir et d’entrer en interconnection avec le monde naturel. Feeling my inner mermaid. Me voici à présent face à cette question ”Pourquoi bougez-vous?”. Je dirais que c’est un amalgame de tous les cycles parcourus jusqu’à aujourd’hui : envie de sensations fortes, nécessité de nouvelles réponses, désir de rencontres humaines et de transformation, soif de rébellion, besoin d’imaginer de nouvelles réalités. Le mouvement pour moi est un moyen de perpétuellement accueillir l’autre : nos corps, nos idées, nos fantasmes. Plus j’avance comme créateur et enseignant, plus je tente de mettre en place un espace où l’on peut s’émanciper dans le plaisir, se redécouvrir… and ultimately feel empowered to tackle the world out there. Je bouge pour foncer à travers le bruit. – AM : D’abord et avant tout, les humains avec qui je partage l’espace de création. J’aime profondément la notion de collaboration avec les artistes sur mes projets. Je suis toujours nourri par la musique, le cinéma, les arts visuels, la mode et le design. Pour cette pièce, j’ai été très inspiré par les univers sonores de Boy Harsher et de TR/ST. Ce sont des musicien.nes que j’ai redécouverts dans le creux de la pandémie. Iels m’ont permis de me brancher à une énergie entre le club et la déambulation nocturne : un échappatoire nostalgique à la fois dark et célébratoire. Dans le cas de ces deux groupes, les synthétiseurs froids, les voix sordides et les pulsations répétitives sont hautement kinesthésiques et nous ont amenés loin dans la recherche. Je me permets, pour une rare fois, de puiser dans des musiques fétiches et hautement personnelles. |