REVENIR DANS SON ÉCOLE SECONDAIRE, UN CHEMINEMENT
Témoignage Décembre 2022. Entre deux gorgées de café, je reçois un appel téléphonique de mon professeur de français de quatrième secondaire. Celui-ci, désormais directeur, m’apprend qu’il suit ma jeune carrière sur les réseaux sociaux. Serais-je intéressée à faire un retour à l’école pour enseigner la danse contemporaine à un groupe de 14 adolescentes, dans le but de créer avec elles une pièce pour leur spectacle de fin d’année ? En proie à des émotions partagées, j’accepte. Je m’imagine retraverser les couloirs familiers, ces lieux qui m’ont tant vue pleurer, traîner ma solitude. Je m’imagine guérir mes mélancoliques souvenirs d’adolescence par la transmission. J’idéalise tout : nous créerons une pièce grandiose, une symphonie de corps changeant de forme à travers l’espace, le tout porté par un discours politique révolutionnaire. J’arrive à l’école. Curieusement, je me perds dans ce lieu qui me semble avoir rapetissé, dans l’odeur de chaussures et de transpiration, entre les silhouettes en uniforme qui filent autour de moi. Je suis escortée jusqu’au studio de danse par une ancienne professeure d’espagnol qui ne me reconnaît pas, qui me demande : vous cherchez quelque chose, madame ? Je rencontre les élèves, un groupe attentif, angoissé par l’échéance prochaine des examens, fébrile, aussi, c’est la première fois qu’on rencontre une chorégraphe. Je balbutie des mots d’introduction, j’oublie leurs prénoms un à un, je leur raconte en quelques phrases que moi aussi, les murs de ce collège ont été ma demeure. Leur professeure m’encense, m’appelle l’artiste, je suis un exemple. J’évite de mentionner qu’ici, je n’avais aucun.e ami.e, que je n’ai jamais regretté d’être partie, que j’ai vécu tout juste quelques années de plus que ces étudiantes. Je les regarde traverser l’espace, un peu intimidées d’avoir à se lancer dans une improvisation, en imitant ma gestuelle douce, celle qu’on m’a longtemps reprochée. Je leur lance ce que mes enseignant.e.s à moi me répétaient : relâchez la tête, déroulez le dos une vertèbre à la fois, l’énergie va jusqu’au bout des ongles. Au fil de mes visites, les visages et les noms trouvent peu à peu leur place dans ma mémoire. Je leur offre toute mon énergie, toutes mes idées, je m’éparpille. Nous commençons mille segments de chorégraphie, et aucun ne me plaît, et aucun ne leur ressemble. Elles m’offrent leur présence, leur patience. J’assiste à leurs évaluations. Je donne des notes sur cent, j’évalue ce qui est subjectif, la sensibilité, surtout. Je tente tant bien que mal de poser des commentaires “constructifs” sur ce qui ne se quantifie pas. Je reproduis ce que je reproche au système scolaire, plus encore lorsqu’il s’agit d’études artistiques. Les voir danser m’émeut. Je replonge dans des souvenirs mis en sourdine – mon premier solo, à douze ans, une trentaine de secondes d’adrénaline rythmées par du tambour. Je leur souris et je me souris. Au fil de mes visites, j’apprends à ralentir, j’apprends qu’il faut arriver préparée, sous peine de perdre le fil, de semer la confusion, j’apprends que les longues chevelures détachées sont jolies, mais peu pratiques, qu’un échauffement trop long risque de faire perdre au groupe son intérêt, que certaines personnes tombent plus souvent malades que d’autres, que je ne sais pas hausser le ton, que le plus simple est souvent synonyme de mieux, et tant pis pour le discours révolutionnaire. J’apprends à garder le moral malgré une blessure au dos, malgré les périodes de création trop courtes et le salaire dérisoire. Nous mettons un point final à la création. Je les filme plutôt deux fois qu’une pour mes archives. Je les remercie, je dis « vous êtes incroyables, merci pour votre beau travail ». J’écoute leurs avis sur le processus, les uns après les autres, des avis articulés, réfléchis, que je trouve pertinents, que j’emporte dans mes poches en attendant de revenir les voir danser sur scène (merci). Mara Dupas, diplômé.e 2022 de l’École de danse contemporaine de Montréal /// Dans la rubrique Vie étudiante, les étudiant.es en danse contemporaine à l’EDCM prennent la plume : l’occasion de découvrir différents points de vue et sujets en lien avec la formation professionnelle, le quotidien des jeunes artistes et la vie à Montréal. /// Photo : Bianka Pierre |