Durant ces trois précieuses années de formation en tant que danseurs, nous nous exerçons à parfaire d’une part une technicité précise, et d’autre part cet art si noble qu’est l’interprétation. Ces deux aspects vont de pair et nous sont utiles à la construction de l’artiste qui règne en nous. Ainsi la dimension artistique à travers le prisme de l'interprétation est cultivée à son plein potentiel, contrairement à l’aspect créateur, souvent en retrait.
Incubateur est un événement qui permet l’épanouissement de cette fibre créatrice. Cette plateforme devient alors essentielle au sein d’une école dont le programme est particulièrement centré sur la formation au métier d’interprète. Il faut tout de même admettre que de nos jours, un danseur interprète travaille souvent en collaboration avec le chorégraphe, il se doit de proposer, de rester inspiré et parfois d’improviser avec les différents outils mobilisés au sein de la chorégraphie. Ainsi il n'est pas uniquement un outil au service du créateur, tel l'acrylique l’est à son peintre.
Incubateur est une soirée dédiée à présenter différents travaux chorégraphiques élaborés par les étudiants de l’école. Qu’elles soient finies ou en cours d’élaboration, ces créations sont destinées à être accueillies par un public, le temps d’une soirée. Un court moment suivant chacune d’entre-elles est organisé afin d'inviter l'auditoire à émettre quelques retours ou questionnements. Cela permet à chaque jeune chorégraphe d’élaborer son discours chorégraphique de la manière la plus exacte possible.
J’ai eu la chance d’y participer à plusieurs reprises, aussi bien en tant que chorégraphe qu’en tant qu'interprète. Tous deux sont des rôles méritant une attention particulière. S’il y a bien une chose que je retiendrai de ce travail c’est qu’il forme à une réelle autonomie. Nous sommes tous confrontés à des soucis personnels, notre emploi du temps nous demande de soutenir des efforts de manière constante et aigüe, la fatigue se fait parfois ressentir davantage…
Ce sont tous ces points qui sont à prendre en considération lorsque l’on entreprend ou l’on décide de participer à un projet chorégraphique en parallèle de sa formation. Les différents investissements doivent rester identiques. Avant d’accepter une demande de participation à un projet incubateur, je m’assurais alors de pouvoir m’investir pleinement mais aussi d’être réellement intéressée par la perspective de travailler avec les personnes concernées. Être interprète c’est aussi savoir ce que l’on veut défendre sur scène.
Sous le chapeau du chorégraphe, la pression est davantage présente. Au travers du processus chorégraphique, nous devons parvenir à exprimer et transmettre de la manière la plus sensible nos convictions artistiques. Plusieurs questions viennent à l’esprit. Qu’est-ce que je veux montrer? Comment le démontrer? Quels danseurs? Quelle bande sonore? Ai-je une idée de décors, de costumes? À partir de quoi commencer? Et cetera. Aiguiser une idée précise de ce que l’on veut présenter à son public peut s'avérer très complexe. Gérer les aléas causés par le temps, les soucis techniques, le stress, ou le rythme des répétitions n’est pas une mince affaire.
Auparavant j’ai souvent été l'interprète de mes propres créations, mais avec Incubateur j’ai voulu m’essayer à la collaboration avec d’autres personnes. Créer pour soi est totalement différent de créer pour quelqu’un d’autre.
La bonne formulation serait alors de chorégraphier en fonction des danseurs avec lesquels je collabore. J’ai ainsi rapidement réalisé que je me devais de comprendre le corps et la gestuelle de l’autre afin de lui transmettre mes idées. Et inversement, l'interprète doit recevoir des indications précises, pour pouvoir incarner mes idées le plus clairement possible.
Le jour de la représentation, la création s’officialise, les regards intéressés du public se posent. Lors du temps de discussion avec celui-ci, je peux me rendre compte de plusieurs choses. D’une part, je mesure l'impact de ma pièce sur son auditoire, d’autre part je suis attentive à la clarté de la transmission. Personnellement, cela ne m'intéresse pas particulièrement de faire passer un message précis, mais plutôt de faire vivre une émotion. Si le public réagit, c’est une victoire.
Incubateur permet de se retrouver face à soi-même en situation d’artiste à la tête d’une gestion de son propre projet. C’est un bon moyen de mettre un pied dans la conception de projets artistiques. Trouver des idées, démarcher pour parvenir à les concrétiser. Aborder les personnes qui nous intéressent, se faire aborder, communiquer, et enfin avoir le choix sur ses propres décisions artistiques. Là sont les différentes composantes nécessaires à l’esprit d’un artiste en danse contemporaine. C’est à petite échelle qu’Incubateur permet de toucher à ce monde.
Les différentes expériences que j’ai pu avoir au sein de ces processus créatifs m’ont confirmé à quel point j’aime travailler avec les gens, me laisser inspirer par leurs mouvements, être à l’écoute mais aussi affirmer mes positions à travers l’art.
Concrétiser mes idées artistiques aux côtés de ma formation d'interprète me sert à prendre un recul et à prendre conscience que l’on peut être maître de sa propre évolution au sein du monde de la danse et de l’art en général.
– Lucie Lesclauze, étudiante en 3e année à l'EDCM
À propos du Projet Incubateur :
Carte blanche à la création chorégraphique : dans le cadre du
Projet Incubateur, les jeunes chorégraphes étudiants de l'EDCM sont invités à présenter leurs créations.
L'Incubateur vise à offrir des conditions favorables aux étudiants en danse désireux d'explorer toutes les facettes de la création chorégraphique. Véritable laboratoire, les créations sont suivies de présentations informelles en studio auxquelles le public est invité à échanger et à donner ses impressions. Organisé deux fois par année, ce projet constitue une véritable richesse pour les jeunes chorégraphes qui ont l'opportunité de développer leur processus créatif ainsi que d'expérimenter de nouvelles approches.
/// Dans la rubrique Vie étudiante, les étudiant.es en danse contemporaine à l'EDCM prennent la plume : l'occasion de découvrir différents points de vue et sujets en lien avec la formation professionnelle, le quotidien des jeunes artistes et la vie à Montréal. ///
Photo : Adéral Piot | Interprète : Lucie Lesclauze